"La
vérité n'est pas l'exactitude" H. MATISSE
S'il est une question classique qui ouvre nombre
de problèmes c'est bien celle de la définition d'une science.
Pour simplifier,
on dira que l'on peut définir une science par trois critères : un objet spécifique (l'homme, les astres, les végétaux,
etc), un projet cognitif, une méthode analytique
et expérimentale qui permet de vérifier des hypothèses de travail. La superposition des
deux premiers critères permet de distinguer les sciences "dures" des sciences
"molles". Les sciences "dures" peuvent se prévaloir d'une certaine
"vérité" de l'objet. La physique est "universelle" (au sens ou elle
vaut pour l'univers), les fonctions organiques du corps humain sont les mêmes pour toute
l'espèce. Les sciences "dures", de fait, supposent l'objet, le posent comme un
donné. Même si Karl POPPER a montré que "la vérité" de la science est
relative et limitée à la "falsifiabilité" de la démonstration, cela ne
soustrait rien à la vérité de l'objet. Les sciences "molles", dans lesquelles
on a coutume de ranger les sciences humaines et sociales, ne peuvent offrir cette vérité
"naturelle". Elles sont contraintes de "construire" un objet dont
elles mesurent par avance la relativité. Pour elles tout est affaire de points de vue. Ne
pouvant offrir une base plus solide, leur projet cognitif est amoindri ainsi que leurs
capacités prédictives et opératoires.
Dans ce dialogue classique, les Sciences
Économiques ont une position originale. Par le formalisme
mathématique de leurs méthodes elles se rapprochent des sciences "dures", mais par leur objet elles tiennent des
sciences "molles". Il suffit de retenir la
définition qu'en donne l'économiste américain et prix Nobel Paul SAMUELSON: les
sciences économiques sont "les sciences des choix".
Quelle "vérité" recèle un choix sinon celui purement subjectif de son auteur?
Certes, des phénomènes économiques se produisent réellement tous les jours (échanges,
investissements, circulation de monnaie). Mais cette vérité là ne peut qu'être
décrite. Or une science a surtout une fonction cognitive. Si les sciences économiques
sont "les sciences des choix" cela signifie que leur objet n'est pas la
matérialité des actes d'échange mais leurs motivations. Cette tension entre objet et
méthodes font des sciences économiques une exception. Dans quelle catégorie les classer
? La question est d'importance car la force des sciences dures tient dans leur capacité
prédictive dérivée de la "vérité" de leur objet. Les sciences économiques
peuvent elles prétendre à ce statut ? L'impact social et politique de l'économie exige
d'être clair sur cette question. Les analyses théoriques des phénomènes économiques
sont-elles fiables ? Les prévisions qu'elles en déduisent ont-elles une chance de se
réaliser ?
On peut dire, avec une pointe d'ironie, que
l'incertitude est un concept flou. Dérivé du latin "certus" qui signifie
"sûr", il en désigne l'inverse, le manque d'assurance. Mais l'incertitude se
distingue aussi d'un concept proche : le "probable". Si la probabilité englobe
un sentiment d'incertitude, celui-ci ne porte que sur le moment d'un événement. Ainsi
que le montrait le grand économiste anglais J.M.KEYNES dans son maître ouvrage "La
Théorie Générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie", un événement
probabiliste est sûr, le futur probable n'est pas hypothétique. La certitude qu'un dé
fasse "6" n'est pas discutable, seuls le nombre de coups nécessaires l'est. Les
sciences économiques relèvent cependant plus de l'incertitude que de la probabilité. La
distance qui s'est progressivement creusée entre les postulats constitutifs de la
discipline et leur efficacité heuristique et cognitive réelle en est probablement
l'explication.
La construction de l'économie comme Science à
partir du XIXème siècle s'appuyait en effet sur trois postulats fondamentaux.
F Le premier postulat fût celui de la
rationalité des comportements économiques.
Les fondateurs de la discipline ont pris pour
hypothèse que les actes économiques sont toujours motivés par l'intérêt. Entre des
besoins infinis et des ressources trop rares pour les satisfaire, les individus doivent
réaliser des choix. Or choisir nécessite un calcul coût / avantage qui permette
d'assurer le maximum de satisfaction pour le minimum de coût. Quand j'achète ma baguette
de pain, je compare son coût avec la monnaie dont je dispose (les ressources rares) et
mon besoin alimentaire. Selon que j'ai ou pas la somme requise je peux : acheter,
continuer mon régime, tenter de négocier ou changer de boulangerie. Dans tous les cas,
le motif déterminant du choix sera mon intérêt. Qu'il soit financier, éthique ou
esthétique importe peu. Rien n'est alors plus rationnel que ce choix.
Les sciences
économiques vont ainsi faire de cette raison là, celle de l'intérêt, leur paradigme
fondamental. A la fin du XVIII ème siècle, le père de l'économie politique Adam SMITH
considère, dans "La richesse des nations" que les comportements collectifs
reproduisent cette démarche individuelle. Dès lors, l'harmonie sociale est
paradoxalement assurée malgré la recherche par chacun de son intérêt personnel. C'est
la fameuse théorie de "la Main Invisible". Le fonctionnement mécanique du
marché et des prix assure une régulation "douce" des comportements individuels
et réduit les risques d'éclatement social. SMITH s'inspire même du modèle newtonien en
faisant référence à la "gravitation" des prix autour de leur niveau naturel.
L' économique entre par ce biais dans une démarche naturaliste directement reprise des
sciences "dures" embryonnaires.
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PHILOSOPHIE
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