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Rubrique
philosophie - Fac de Philagora: http://www.philagora.net/philo.htm
Une évidence ambiguë
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Esquisse d'une problématique des rapports de la danse
et de la musicalité
par Michel
Bernard
Professeur émérite d’Esthétique Théâtrale et Chorégraphique
- Université Paris VIII Saint Denis
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1-Présentation
2-Cinq types de rapports 3-Nature et
corporéité 4-Musicalité et "orchésalité"
et bibliographie
Dans
le cadre restreint de
cette conférence, je voudrais seulement et modestement, comme
le suggère le sous-titre annoncé, vous proposer et soumettre
quelques réflexions susceptibles de permettre l'établissement
d'une problématique la plus rigoureuse et la plus précise
possible des rapports de la danse et de la musicalité. Mais
d'abord, pourquoi “ musicalité ” et non “ musique ”,
comme il est courant de le faire dans les questionnements les plus
fréquents ou habituels au sein des colloques, rencontres et
symposiums organisés sur et autour de cette thématique? Parce
que, selon moi, les Arts ne constituent pas des entités esthétiques,
institutionnelles et historiques totalement séparées,
distinctes
et autonomes, mais, comme l'a fort bien souligné Anton Ehrenzweig
dans L'Ordre caché de l'Art (1), les modalités apparentes
de différenciation et d'accentuation d'un réseau spectral commun
de “qualia” sensibles d'origines diverses ou,
Si
vous préférez, d'une même trame ou chaîne sensorielle
hybride ; modalités analogues aux franges ou bandes chromatiques
qui composent le spectre lumineux, tel que le révèle
l'arc-en-ciel ou la réfraction d'un rayon de soleil dans un
prisme. Nos sens, en effet, ne fonctionnent pas isolément, mais
d'une façon solidaire et organique par le jeu d'un
entre-croisement permanent à la fois avec le monde, entre eux et
avec le processus d'énonciation linguistique, l'acte de parler et
d'écrire. Bref, pour reprendre la terminologie célèbre de
Maurice Merleau-Ponty, ils obéissent à un mécanisme
correspondant à la figure de rhétorique du “ chiasme”,
c'est-à-dire dessinant la croix de la lettre grecque X et ici, en
l'occurrence, à un triple chiasme (2):
-intrasensoriel
puisque chaque sensation est à la fois active et passive,
-intersensoriel pour autant que chaque organe sensoriel résonne
ou retentit du fonctionnement des autres, comme l'a
magnifiquement exprimé Charles Baudelaire dans le sonnet
des“Correspondances”(3),
-parasensoriel dans la mesure où l'acte de sentir s'effectue ou
s'accomplit selon une modalité analogue à celui de l'acte du
dire, à savoir comme mécanisme de projection de simulacres (4).
Ce triple fonctionnement chiasmique forme donc un réseau ou un
entrelacs sensoriel et énergétique qui alimente et gouverne
chacune des impressions fournies par nos cinq organes des sens. Dès
lors, chaque art qui prétend exploiter et orchestrer la richesse
d'un organe privilégié : la vue, l'audition, le toucher,
l'olfaction et le goût est en fait tribu-taire de l'apport des
autres, ainsi que de leur dualité ou polarité immanente
(actif/passif) et de leur pouvoir de simulation.
Et
c'est, d'ailleurs, cette capacité spécifique de les conjoindre
ou de les conjuguer et d'en jouer d'une façon singulière et
originale, d'opérer, selon l'expression heureuse d'Anton
Ehrenzweig, un “scanning inconscient” sur toute cette circulation
polysensorielle qui constitue l'essence de l'acte de création
artistique. Le travail artistique est donc essentiellement “
nomade ” et appelle, comme le dit Mikel Dufrenne, “une esthétique
sans entrave” (5): ce qui distingue ou différencie celui de
chaque genre artistique réside, en fait, dans la modulation
choisie de ce nexus de la matérialité sensorielle et
pulsionnelle qui privilégie et accentue telle ou telle
composante, favorise tel ou tel agencement et détermine par là même
des tonalités esthétiques spécifiques correspondant au sens
pris comme épicentre.
Ainsi
on peut distinguer sept tonalités fondamentales:
les deux premières, apparemment à dominante spatiale, sont bien
évidemment, d'une part, la picturalité en tant que relative à
l'appréhension visuelle des formes colorées, d'autre part, la
plasticité définie par rapport à la perception tactile de
leur distribution et du modèle des volumes comme l'a souligné
Auguste Rodin (6).
Deux
autres résultent plus directement du statut hybride et étrange
des deux sens archaïques connexes que sont l'odorat et le goût,
à savoir la fragrance et la saveur, sources de l'art des parfums
et de l'art culinaire. Enfin les trois dernières tonalités sont,
elles, avant tout, manifestement d'essence temporelle: d'abord, la
théâtralité qui, comme je l'ai longuement expliqué dans ma thèse
(7) et d'autres articles, découle de la structure ambivalente et
paradoxale de la corporéité humaine travaillée par la double
pulsion contradictoire de son désir et pouvoir d'énonciation
linguistique et par là de simulation, donc de dualisation fictive
et simultanément de son vœu inconscient et nostalgique d'unité
ou d'identité. Puis, plus radicalement, puisque sous-jacentes à
la précédente et la fondant, les deux tonalités qui nous intéressent
ici, à savoir, d'une part, la musicalité qui, même Si elle paraît
s'inscrire en priorité dans l'univers sonore et dériver du
seul sens auditif, le déborde très largement et émane du mécanisme
producteur de la temporalité, celui de la scansion de la répétition
et de la différence des instants constituant notre durée d'autre
part, et corollairement, ce que j'appelle l' “ orchésalité ”
(8), c'est-à-dire la modulation spécifique proprioceptive et
visible du traitement ou d'exploitation motrice de ce mécanisme,
autrement dit de cette temporalité corporelle et kinétique
que manifeste la Danse.
En somme, bien loin d'envisager superficiellement le problème
des rapports de la Musique et de la Danse comme celui de deux Arts
constitués, ou plus exactement comme deux genres esthétiques hétérogènes
clos et institutions historiques distinctes et autonomes, il
convient de le situer en amont dans les processus constituants qui
les spécifient et en sont les véritables moteurs, la musicalité
et orchésalité, et en ce sens de rectifier maintenant la
formulation du sous-titre et même de l'introduction de cette conférence
en substituant ce nouveau terme à celui de Danse que j 'ai employé
par crainte de vous effaroucher avec ce curieux néologisme
abstrait et obscur d'“orchésalité”.
Encore faut-il bien s'entendre sur ces deux concepts et
parallèlement sur les deux Arts qu'ils sont censés engendrer et
définit En effet, en dépit de leur apparente évidence, puisque
tout le monde croit pouvoir reconnaître une musique et une danse
et a fortiori savoir comment les produire, tous ces
concepts sont chargés d'une ambiguïté foncière.
Et tout d'abord, celui de musicalité qui conjugue en fait
une double équivoque; d'une part, celle qui se situe au niveau de
la nature du rapport formel et grammatical du mot avec la Musique
en tant que désignation du genre artistique, d'autre part, et
corollairement, celle qui réside dans la définition même du
statut de cet Art.
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