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Rubrique philo-bac sur Philagora http://www.philagora.net/philo-bac/index.htm 

anthro1.gif (2902 octets) ANTHROPOLOGIE  p.8 

La liberté du sujet pensant  

- Du stoïcisme à Spinoza-

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Dans les deux analyses précédentes concernant la conscience et la vérité nous avons compris que l'homme était essentiellement: pensée et liberté.
   Pourquoi liberté?
   Parce qu'il est pensée et que la pensée nous conduit vers la vérité qui elle-même exige un détachement des données immédiates: la liberté implique donc une transcendance c'est à dire que l'homme est conscience de soi et présence au monde. Il est présent au monde et à lui-même, cela parce qu'il en est capable de nature. Il possède cette condition de possibilité d'être conscient: "la nature de l'esprit n'est que de penser", écrivait Descartes. Si bien que notre existence d'être humain ne serait rien d'autre qu'une libération, un accès à la liberté dans ce monde, à la fois sous une forme pratique (sur le plan de l'action) et sous une forme spirituelle.

Cela ne va pas sans rencontrer des difficultés. Toutefois ces obstacles seront peut-être contournés si nous parvenons à clarifier la notion de conscience. La conscience n'est pas une chose, elle n'existe donc pas à la façon d'une chose située dans le monde. Elle est ce qui permet l'étonnement devant le monde. Le mode d'exister de la conscience la distingue donc du monde. Elle existe comme une capacité, un pouvoir d'interrogation radicale du monde: elle n'est donc pas en lui comme une chose dans une autre chose: elle est ce qui introduit la distance à l'intérieur de l'opacité des choses puisque nous prenons du recul par rapport aux choses. Ce n'est qu'une fois la distance instaurée que le mouvement pourra naître: le mouvement réflexif de l'esprit.

Il s'agit d'un double mouvement d'attachement et de détachement par lequel s'élabore la vérité: qui dit mouvement dit liberté. La liberté est liée à la réflexion qui nous conduira vers la vérité.
Nous avons expliqué précédemment l'effort de l'esprit:
-Pour lutter contre la fausse subjectivité qui nous ferait voir les choses comme nous les voudrions et non comme elles sont.
-Effort pour s'arracher au faux immédiat, aux apparences trompeuse.
-Effort pour passer en quelque sorte d'une existence perdue à une existence retrouvée.

   Autant dire que l'homme ne peut exister autrement que dans le monde et pourtant qu'il est par sa nature étranger à ce lieu: il ne peut exister que dans ce qui ne peut être son lieu. Pour éviter de se perdre dans un lieu qui n'est pas le sien, il devra perpétuellement le remettre en question, le dépasser sans cesse sans pourtant le quitter. Nous voyons bien que l'essence de l'homme est d'être transcendance. Si bien qu'il n'y a pas des choses importantes et des choses secondaires mais qu'au contraire chaque instant de ma vie est prise de position, libération. Aussi nous devons apporter une grande attention au terme de transcendance qui est un acte jamais achevé. Notre liberté est en cours de réalisation, je ne suis pas absolument, définitivement, une fois pour toutes, libre, je me libère, je cours toujours vers un horizon, et c'est ce mouvement qui me fait vivre. Je ne peux pas me réduire au "ceci", à "l'ici et au maintenant". Je suis penché sur l'avenir nous dit Bergson. Si je m'occupe de ce qui est "c'est surtout en fonction de ce qui va être, de ce qui doit être".
Ce qui nous fait homme, c'est cette impossibilité où nous sommes de nous posséder comme être achevé, absolu, cette impossibilité de nous connaître. Ce qui nous fait homme c'est ce manque à être, cette faim qui engendre un désir; désir qui engendre un mouvement, celui de nous échapper à nous-même. C'est dans ce mouvement que notre esprit éprouve une plénitude d'existence.

Nous assistons là à une progressive conquête de la vérité et de la liberté. Il y une spontanéité, une inclination, une affinité de notre esprit et de l'Être. Platon disait que l'esprit est parent de la vérité. Mais si la vérité est la finalité de la connaissance elle n'en est pas moins toujours médiation c'est à dire qu'elle n'est jamais atteinte.
   C'est pourquoi être homme c'est refuser d'être une chose fermée en soi mais c'est accepter de devenir.... ce que nous sommes: et nous ne sommes pas des objets, voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous connaître: la pensée s'intéresse à l'objet c'est à dire à ce qui est intelligible, structuré. Mais comment voulez-vous penser l'existence? Elle n'est pas un objet, elle est une présence.

Être présent c'est être présent à quelque chose. Exister humainement c'est être présent à soi, au monde, à Dieu (Lachièze-Rey: Le moi, le monde et Dieu). Pas de vérité, pas de liberté sans rapport, accord, correspondance entre la pensée et l'être: c'est ce qui en face de soi qui stimule la pensée et qui instaure un dialogue. Le poète médite, le scientifique questionne, le mystique prie... et tout silence est bruissant de paroles qui témoignent de l'activité de notre esprit.

   Et c'est bien dans ce terme d'activité que réside toute la question: l'homme n'est jamais passif. L'anthropologie philosophique ne permet pas l'accès à un "autre monde" mais à l'existence humaine qui donne un sens à l'univers quotidien: cette étude nous apprend que notre existence ne peut être vécue que dans ce qu'on appelle la négativité, c'est à dire la découverte de notre finitude, de notre manque à être d'où naît cet appel vers une plénitude toujours recherchée, jamais atteinte mais dont le désir nous fait vivre. Je ne possède pas la vérité mais je ne désespère pas pour autant puisque je sais qu'il y a une correspondance à établir: à moi de jouer!

Au départ pourtant la situation me paraît désespérante: je suis un être limité mais qui est fait de telle sorte qu'il désire la "totalité". Je n'ai rien et je veux tout! Jeté dans le monde sans l'avoir voulu, étonné, pressé de le connaître, le temps m'est compté: peu importe, je mets en jeu toute mes facultés pour joindre action et contemplation, spéculation et pratique et, puisque par mon corps je suis un élément infime du cosmos, je vais essayer de vivre en harmonie avec la nature.

Le stoïcisme nous apprend en effet à accepter la nécessité, ce qui ne peut pas ne pas être; Pour cette école fondée par Zénon au IVème siècle avant J-C et jusqu'à Épictète et Marc Aurèle, être libre c'est adopter de bon cœur le déterminisme inéluctable. Il faut bien remarquer que accepter n'est pas se résigner. Encore une fois notre esprit ne peut pas être passif. Accepter c'est comprendre et consentir à la nécessité. Pour être libre dans l'univers il suffit d'accepter l'univers, on ne peut pas avoir tout ce que l'on veut, on se libérera en voulant ce que l'on a. Mais comment accepter tout ce qui nous arrive?

   Plus près de nous Spinoza (1632-1677) adopte le point de vue des stoïciens et nous indique que le moyen pour se libérer est l'intelligence: il me suffit de comprendre que tout ce qui nous arrive était nécessaire: il suffit de coïncider par notre intelligence avec cette nécessité inévitable, ce déterminisme auquel nous sommes soumis. En effet pour Spinoza, la liberté est une illusion. Nous ne sommes pas libres car être libres "c'est être la seule cause de ces actes". Or nous ne sommes pas spontanément la cause entière de nos actes. Par nature, nous sommes des êtres finis (= limités) et faibles. Comment convertir alors en liberté cette "servitude originelle" de la condition humaine? Pour être libre il faudrait que l'homme n'accomplisse que des actions déterminées pas sa nature et non par des causes extérieures qui le contraindraient. "J'appelle libre une chose qui est et qui agit par la seule nécessité de sa nature et j'appelle contrainte une chose qui est déterminé par une autre à exister et à agir" (Lettre de Spinoza à Schuller).

   De toute évidence je ne suis donc pas libre mais déterminé par des causes extérieures qui ne peuvent pas ne pas être: mais il y a un moyen de convertir cette nécessité en liberté en l'acceptant. Je serai apaisé si, lorsque le malheur me frappe, nous explique-t-il, je peux comprendre que l'enchaînement des causes et des effets dans l'univers rendait ce malheur inévitable. "Je cesserai alors d'envisager mes souffrances sous l'angle borné de mon individualité pour les considérer du point de vue de la totalité, de la liaison de toute chose", c'est à dire pour Spinoza du point de vue de Dieu. Je pourrai accepter avec sérénité cette "nécessité" en comprenant que "tout découle de l'éternelle détermination de Dieu avec la même nécessité qu'il découle de l'essence du triangle que la somme de ces trois angles soit égale à deux Droits". Certaines choses dépendent de nous, nous en sommes responsables, elles dépendent de notre libre décision mais d'autres ... ne dépendent absolument pas de nous. Il ne s'agit donc pas de les subir mais de les accepter c'est à dire de les comprendre ou d'essayer ...

   Cette conclusion de Spinoza, empruntée au stoïcisme semble difficile à admettre. La liberté se réduit pour lui à la conscience de la nécessité. Devons-nous accepter de nous transformer en "esclaves volontaires de l'univers". Serions-nous d'autant plus libres que notre acceptation serait plus intérieure, plus totales? Cette attitude ne découragerait-elle pas au contraire toute action?

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