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HUGO , Les Misérables
- (V. III, 9)
Propédeutique à l'étude
du texte
qui termine
la troisième partie de Quatrevingt-Treize
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"La paix couvre le songeur comme une
nuit"
"Le crépuscule s'était fait; la nuit venait, la grande libératrice, l'amie de tous ceux qui ont besoin d'un manteau d'ombre pour sortir d'une angoisse. Le ciel s'offrait de toutes parts comme un calme énorme. La rivière arrivait à ses pieds avec le bruit d'un baiser. On entendait le dialogue aérien des nids qui se disaient bonsoir dans les ormes des Champs-Élysées. Quelques étoiles, piquant faiblement le bleu pâle du zénith et visibles à la seule rêverie, faisaient dans l'immensité de petits resplendissements imperceptibles. Le soir déployait sur la tète de Jean Valjean toutes les douceurs de l'infini. [...] Jean Valjean fut pendant quelques secondes irrésistiblement vaincu par toute cette sérénité auguste et caressante; il y a de ces minutes d'oubli; la souffrance renonce à harceler le misérable ; tout s'éclipse dans la pensée; la paix couvre le songeur comme une nuit; et sous le crépuscule qui rayonne, et à l'imitation du ciel qui s'illumine, l'âme s'étoile. Jean Valjean ne put s'empêcher de contempler cette vaste ombre claire qu'il avait au-dessus de lui; pensif, il prenait dans le majestueux silence du ciel éternel un bain d'extase et de prière."
V. Hugo, Les Misérables (V. III, 9). |
Ce texte ouvre les portes
pour accéder à la pensée de Hugo: le baiser, la contemplation,
l'oxymore, l'extase et l'âme qui s'étoile.
==Les
Misérables paraissent en 1862. Durant l'hiver, Hugo commence des
travaux préparatoires à la composition de Quatrevingt-Treize.
Dans son projet de penser la paix, dans sa relation à la nature, il est
déjà bien avancé. Certaines des pages de l'œuvre qui vient de
paraître marquent un acquis sur lequel il s'appuie.
C'est ainsi que cette page peut vous aider à mieux comprendre le rapport
de la nature à la paix: dans la contemplation, la distinction
intériorité morale et extériorité du ciel étoilé s'annulent: c'est
donc un "bain" que Jean Valjean prend: ce bain est à la
fois une plongée en lui et une plongée dans la nature (extase); c'est
aussi une prière, une célébration admirative. ==Jean
Valjean vient de sortir d'un égout: à partir d'une impression
(il se sent protégé par un manteau d'ombre), il reçoit,
accueille, communique avec la divine paix et prie dans l'extase
c'est à dire dans l'intériorité morale qui se découvre comme
fondement de l'extériorité: alors l'âme s'étoile c'est à
dire découvre sa similitude d'origine avec les étoiles: à
contempler l'ombre claire au dessus de lui, l'homme se prend
à espérer. ==Relever
tous les oxymores, ou alliance de mots, procédé de figuration chez
Hugo, clé pour la compréhension du texte qui conclut la troisième
partie de Quatrevingt-Treize
(pages 346, 347).
Si l'infini est douceur, si le calme est énorme, toute la création
divine se révèle à la contemplation dans sa vérité: la
sérénité comme mélange de pureté et de calme, la tranquillité
comme figure de la paix. ==Remarquer
la force de l'impression ("vaincu", "ne put s'empêcher"...)
: grâce à elle l'écriture est action.
Noter aussi le terme baiser fondamental chez Hugo: c'est le
baiser de la mer à la terre, c'est le baiser de la lèvre à la
lèvre, c'est la figuration de l'harmonie comme union des
contraires: non pas une fausse unité dialectique qui exige le
sacrifice perpétuel de l'être, mais l'union de ce qui est mêlé
et qui en se baisant s'unit tout en restant soi-même:
c'est peut-être là qu'il faut voir la figuration de la paix et
donc la conception de la paix selon Hugo. Non plus les ruines de la
guerre mais les transports de l'esprit et des sens. Non plus les
luttes sans fin, mais les jouissances de ce qui se mêle. "Lèvre, cherche la bouche! Aimez-vous la nuit tombe;
"Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs,"
Victor Hugo, Les Contemplations, Livre II, 2
"Non, c'est Dieu,
c'est le ciel ... l'aurore se livrant toute nue à mes yeux
C'est le baiser du jour, c'est l'amour que je veux!" la fin de Satan,
première rédaction.
Joseph Llapasset -
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