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Montpellier -
Le Musée Fabre -
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La Section
d’or, fortune du cubisme
1912-1925
par Sylvain AMIC
-
Conservateur au Musée Fabre, commissaire de l’exposition.
(article paru dans La Rencontre, revue
des Amis du musée Fabre, décembre 2000)
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- Présentation
du cubisme
| La section d'or fortune du cubisme 1912, 1925
- Découvrez: Braque | Duchamp
| Gleizes |Gleizes. Figure...|
Survage | Valensi
| Vassilieff
| Ferat | Kupka | Ribemont-Dessaignes |
La Section d’or, un épisode fondamental de l’art moderne qui réunit
les meilleurs protagonistes des années cubistes, elle permet de revoir les
œuvres de Braque, Picasso, Gris, Léger, Picabia, Kupka, Delaunay, des Frères
Duchamp, et le talent d’une pléiade d’artistes, tels que Gleizes,
Metzinger, Marcoussis, La Fresnaye, Lhôte…, à redécouvrir absolument.
L’histoire a
retenu du cubisme sa naissance en 1907 avec Les
Demoiselles d’Avignon, son élaboration par Braque et Picasso dans une
rivalité complice, ses trois phases solennelles, cézanienne sous
l’influence de la rétrospective posthume du peintre d’Aix en 1907,
analytique au plus près de l’abstraction en 1910, synthétique avec
l’apparition des papiers collés, l’introduction de fragments arrachés
au réel, cartes à jouer, typographie de journal, faux bois, voire lambeau
de toile cirée imitant une chaise cannée en 1912.
Cette
histoire officielle largement inspirée des écrits de Kahnweiler, a servi
en son temps les intérêts du marchand qui avait ménagé une solitude altière
autour des deux membres de « la cordée », comme Braque et
Picasso se plaisaient à se nommer eux-mêmes,
au point de les lier à la fin de l’année 1912 dans un contrat
d’exclusivité, leur interdisant toute participation à d’autres
entreprises que les siennes. Si le cubisme est alors dans la force de l’âge,
il demeure quasi ignoré du grand public, qui n’en sait ni la petite, ni
la grande histoire. Entre 1907 et 1911, les recherches de Braque et de
Picasso ne sont en effet connues que d’un cercle d’amateurs éclairés
ayant accès aux ateliers, fréquentant les cimaises presque confidentielles
de Kahnweiler (où Braque expose en novembre 1908 et provoque la raillerie
du critique Louis de Vauxcelles, qui avec son sens de la formule parle de
« petits cubes »), amis, critiques, peintres surtout, qui tirent
pour eux-mêmes toutes les conclusions qui s’imposent.
La première fois
qu’Apollinaire écrit le mot cubisme, en chroniquant le Salon d’Automne
de 1910 dans la revue Poésie,
c’est en effet pour déplorer son utilisation erronée par la critique, et
l’absence de son inventeur, Picasso :
« L’on
a un peu parlé d’une manifestation bizarre du cubisme. Les journalistes
mal avertis ont fini par y voir de la métaphysique plastique. Mais, ce
n’est même pas cela, c’est une plate imitation sans vigueur
d’ouvrages non exposés et peints par un artiste doué d’une forte
personnalité et qui, en outre, n’a livré ses secrets à personne. Ce
grand artiste se nomme Pablo Picasso. Mais le cubisme au Salon d’Automne,
c’était le geai paré des plumes du paon. » Les recherches de
Picasso restent donc méconnues, au point d’entretenir la confusion et
l’ambiguïté la plus totale sous le vocable du « cubisme ».
Le premier coup d’éclat qui marque
l’irruption du cubisme sur la scène publique est le Salon des Indépendants,
au printemps 1911. Ce succès de scandale obtenu par la salle 41 est à la
mesure de la stupeur du public et d’une grande partie de la critique, qui
découvre tout à coup le travail souterrain d’un grand nombre de jeunes
peintres bien informés, eux, des progrès de Braque et Picasso. Ce qui est
scandaleux, c’est bien entendu l’éclatement de la forme, la confusion
des points de vue, la perte de lisibilité du modèle, la géométrisation
du dessin, mais tout aussi l’agaçante prétention de ces artistes qui en
se regroupant en véritable bande, ont renouvelé le coup de force de la
« cage aux fauves » de 1905 et se posent en alternative crédible
aux atermoiements d’un impressionnisme en pleine déliquescence.
Dès lors, en l’espace de quelques
semestres, un scandale chasse l’autre, avec chaque fois la même stratégie
de regroupement : c’est la salle VIII du Salon d’Automne en 1911,
les salles 17 à 20 des Indépendants de 1911, la salle XI du Salon d’Automne
de 1912. A chacun de ces épisodes, l’esthétique cubiste gagne en force
et en nombre, les amitiés se nouent, la galaxie se forme : Gleizes,
Metzinger, Léger, Gris, La Fresnaye, Lhôte, Villon mais aussi quelques
corps célestes poursuivant une trajectoire autonome, Delaunay, Picabia,
Kupka, Marcel Duchamp, réunis en une conjonction proprement surnaturelle
dans la grande aventure de La Section
d’or. L’organisation de cette exposition en octobre 1912 est en
quelque sorte l’aboutissement logique de la stratégie de cohésion qui a
sous-tendu les participations des cubistes aux différents Salons. Cette
fois-ci, comme le note Apollinaire, c’est une exposition toute entière dévolue
à leur cause qui est organisée. La
Section d’or est « ce nouveau Salon qui a pris son nom à
l’ancienne Mesure de Beauté » (L’intransigeant,
10 octobre 1912).
L’initiative en est multiple et l’on
trouve sous ce titre mystérieux le rapprochement de diverses obédiences.
Le groupe de Puteaux d’une part, animé par les frères Duchamp, fréquenté
par Kupka et Léger, où l’on s’adonne à diverses spéculations mathématiques.
On y goûte avec délice aux géométries non-euclidiennes développées par
Poincarré et Riemann, qu’un civil agent d’assurance, Maurice Princet,
expose aux participants, et l’on se propose d’examiner les conséquences
picturales d’une quatrième dimension. Le cercle issu de la Closerie des
Lilas, d’autre part, d’où se distingue le duo Gleizes-Metzinger, qui en
publiant Du « cubisme »
en 1912, signe le premier ouvrage théorique consacré au mouvement. Enfin,
l’apport décisif, tant financier qu’organisationnel de Francis Picabia,
qui, doué d’un flair infaillible, pressent l’importance de la
manifestation et déniche l’ancien hangar à meubles appelé à devenir
l’un des hauts lieux de l’art moderne, sous le nom de galerie de La
Boétie.
Tous les comptes-rendus de l’époque
montrent à quel point l’événement avait été minutieusement orchestré
pour apparaître comme la première et véritable exposition manifeste des
peintres cubistes. André Tourette ne s’y trompe pas en décrivant le
vernissage dans Gil Blas du 10
octobre 1912 :
« Les
cubistes ont livré hier soir leur première bataille rangée. Ils avaient
lancé dix mille invitations et l’on s’écrasait dans la vaste galerie
de la rue de La Boétie […] Ce vernissage est unique, il laisse loin derrière
lui, l’inauguration aux lumières du premier Salon d’Automne ».
Il s’agit, en effet, d’affirmer de
manière décisive le parti pris d’un groupe qui ne veut plus composer
avec les règlements des Salons, les jurys, et souhaite délivrer pleinement
un message sans compromis. Tout d’abord, refuser le terme d’école qui
en ces temps de rivalité entre les avant-gardes évoque de vaines surenchères
esthétiques. Comme le note alors Olivier Hourcade dans Paris-Journal
(23 octobre 1912) « … Il n’y a pas d’école cubiste. Et il
est absurde de croire que les peintres de la Section d’or (…) ont, entre
eux, un seul principe commun si ce n’est le désir de réagir contre la décadence
négligente de l’impressionnisme (…). L’intérêt du cubisme est la
différence absolue des peintres entre eux. » Cette volonté se
traduit par le choix de présenter de mini rétrospectives pour chaque
participant, seul moyen d’illustrer une démarche personnelle menée sur
plusieurs années. Elle se traduit cependant par une hétérogénéité de
styles qui désoriente quelque peu le spectateur, et surprend plus encore
aujourd’hui.
>Le recours à ce mystérieux étendard de
la « Section d’or », traduit également le souci de donner des
bases théoriques solides à une esthétique jusque-là fondée sur les développements
heuristiques et intuitifs de Braque et Picasso. Il dénote la filiation
affirmée avec les principes universels de l’art, puisque la sectio
aurea de Léonard de Vinci, science des divines proportions renvoie
aussi bien au génie des bâtisseurs grecs, qu’à la Renaissance et
aux lois fondamentales de composition chez les plus grands maîtres. Sous
l’impulsion de Gleizes et Metzinger, c’est en effet l’adoption d’un
nouveau langage qui importe, capable de traduire les aspirations d’un
monde nouveau, appelé à perdurer comme fondement d’un classicisme à
venir. Ce dernier point recoupe l’intention moins explicite mais tout
aussi réelle de se positionner par rapport aux futuristes italiens, bien
encombrant mouvement qui a également repris le vocabulaire cubiste comme
support de son projet. A l’encontre de Marinetti, qui prône le dynamisme,
la représentation du mouvement, le machinisme, la destruction des musées
et la rupture avec les arts anciens, en s’appuyant sur un bataillon de
bouillants artistes en coupe réglée, la Section d’or oppose sa diversité,
son sens de la mesure, sa stabilité et ses racines profondément ancrées
dans le terreau de l’histoire des arts européens.
Ce credo ne devait pas résister aux
forces centripètes des différentes tendances qui s’exprimaient à la
Section d’or de 1912, moment d’incandescence et d’équilibre précaire
pendant lequel le cubisme se trouve à la croisée des chemins. Dans le
fracas de la grande guerre, disparaissaient bien des illusions et des
meilleurs talents : Apollinaire, le plus fidèle soutien du mouvement,
le fédérateur qui avait non sans mal pu maintenir la cohésion de ce
« cubisme écartelé », titre de la conférence qu’il donna à
la galerie la Boétie en 1912 ; Duchamp-Villon, l’un des plus
prometteurs sculpteurs cubistes dont l’ombre a plané sur toute la carrière
de son talentueux frère Jacques Villon. C’est aussi l’époque des
ruptures, Picabia et Ribemont-Dessaignes rejoignant le très caustique
mouvement Dada, Duchamp s’établissant aux Etats Unis.
La
ténacité des membres fondateurs permis cependant de reformer la Section
d’or et d’organiser une nouvelle exposition à la galerie La Boétie en
1920, qui marque le retour de Braque parmi la famille cubiste (participation
avérée au comité directeur, qu’il niera rétrospectivement), et
l’internationalisation du mouvement : de nombreux peintres russes,
ukrainiens, issus des « Soirées de Paris », Larionov,
Gontcharova, Férat, Survage ont rejoint les Archipenko, Exter, Lewitska,
participants de la première heure. Dans une véritable tournée européenne,
de nombreux contacts sont pris avec des peintres qui s’associent
localement à ces manifestations : Balla, Boccioni, Prampolini à Rome,
Mondrian à Amsterdam, avec Helessen, Tour-Donas qui exposent également à
Genève et Bruxelles, et la présence de Van Doesburg à chacune de ces étapes.
L’ultime
exposition de 1925 à la Galerie Vavin-Raspail se présente déjà comme la
rétrospective d’une épopée fondamentale de l’histoire de l’art
moderne et, dans une perspective historique, permet d’y intégrer les pères
fondateurs du cubisme, Braque et Picasso, mais aussi Delaunay. Déjà, la
volonté de reconstituer la Section d’or de 1912 apparaît illusoire en
raison de la dispersion des œuvres, à laquelle Marcel Duchamp contribue
involontairement en conseillant les collectionneurs américains, confirmant
par delà son détachement sarcastique, l’importance que revêt à ses
yeux cet épisode. « La Section d’or, selon les mots d’Archipenko,
fut la plus belle étincelle de génie créateur et de solidarité. Ces
hommes ont jeté les fondations d’une ère nouvelle de l’art. Certains
ne sont plus, certains sont encore vivants, certains sont immortels ».
Sylvain AMIC
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